Article rédigé par le Dr Anne-Lorraine Clause

Néphrologue Epicura : [email protected]

Consultante Erasme : [email protected]

Epidémiologie de la pathologie lithiasique


Les pathologies lithiasiques touchent entre 9-13% de la population de tout milieu confondu avec une
fréquence en augmentation depuis la deuxième guerre mondiale dans les pays industrialisés tant chez les
adultes que chez l’enfant, dès suite des modifications des habitudes alimentaires (industries agroalimentaires), de l’augmentation du diabète et de l’obésité.

On estime environ que 85% des lithiases des adultes sont d’origine diététiques contre 15% qui seraient due à des pathologies secondaires ou systémiques.

Néanmoins, grâce aux avancées récentes dans le domaine de la génétique, il est de plus en
plus admis qu’il existe chez la plupart des patients souffrant de lithiases récidivantes, un overlap entre
facteurs génétiques (monogénique ou polygénisme) ou anatomiques primitifs d’une part, et facteurs
environnementaux « triggers » d’autre part, tels que les facteurs diététiques, infectieux ou entériques.

La pathologie lithiasique n’est plus considérée aujourd’hui comme « bénigne », particulièrement dans les
formes récidivantes et/ou d’apparition précoce, puisqu’environ 10% de ces patients développeront une
IRC voir terminale au cours de leur vie, avec une réduction de leur qualité de vie
.

Signification pathologique de la cristallurie

L’analyse de la cristallurie, véritable carrefour entre les anomalies biochimiques urinaires et la formation
des calculs, devient un incontournable quand il s’agit de dépister et de suivre correctement les patients
lithiasiques ou même les patients au stade pré-lithiasique.

En effet, la cristallurie témoigne d’une sursaturation des urines en espèces ioniques cristallisables
(calcium, oxalates, acide urique, urate, ammonium, phosphate, …), qui dans un environnement particulier
de pH urinaire inapproprié et de déficit en ions inhibiteurs (citrate, magnésium, protéine de T-H,
uropontine,…) aboutira au processus de cristallogenèse : croissance, agrégation, agglomération cristalline
puis in fine, conversion en espèces cristallines particulières (whewelite, weddelite, struvite, PACC,
carbapatite, brushite, acide urique dihydraté, urate acide d’ammonium, …) (figure 1).

Les deux déterminants essentiels de cette cristallogenèse restent la concentration molaire des substances (ou
produit molaire) qui forment les cristaux et, le pH urinaire.

Le pH urinaire exerce en effet une influence considérable sur l’ionisation de plusieurs molécules inhibitrices ou promotrices (par ex., le citrate complexe le calcium en pH u > 6), de même que sur la solubilité de certaines substances cristallines comme l’acide urique, les urates, la cystine, les phosphates et carbonates.

A l’inverse, les espèces oxalates calciques et dihydroxyadénines se forment indépendamment du pH urinaire. Il existe actuellement plus 40 espèces cristallines identifiables dans les urines, qui peuvent pour la plupart se présenter sous différentes formes (>110 formes), compliquant parfois la reconnaissance de certains cristaux en
microscopie optique.

Les intérêts cliniques de la cristallurie

Ils sont multiples et repris dans la figure 2 ci-dessous.

Son étude est donc justifiée et évident lorsque le calcul n’est pas disponible pour analyse et lorsqu’on veut évaluer le risque cristallogène d’anomalies métaboliques ou biochimiques sur les urines de 24h détectée chez un patient non symptomatique. Il permet à lui seul de poser le diagnostic de maladies métaboliques héréditaires (cystinurie congénitale, 2,8-DHA, hyperoxalurie primaire ou entérique) ou d’IRA cristalline médicamenteuse et/ou toxique (ampicilline, sulfamidés, ciprofloxacine, indinavir, éthylène glycol).

Enfin, la disparition de la cristallurie est le meilleur garant de l’absence de formation du calcul (et l’inverse est également vrai).

L’étude répétée de la cristallurie chez le patient lithiasique représente donc un outil de monitoring précieux pour
juger de l’efficacité des mesures diététiques et/ou thérapeutiques mises en place.

Enfin, chez le transplanté rénal pour hyperoxalurie primaire, le monitoring du volume cristallin global de
Whewellite permet de prédire le risque d’altération du greffon par cristallisation intra-tubulaire (présent
si >1000 um3/mm3).

Signification de la cristallurie chez le sujet normal ?

Certains cristaux (notamment à l’automate) peuvent s’observer en fréquence et en abondance plus faible
dans les urines d’un individu normal, sans que cela ait une signification pathologique particulière.


Toutefois, la présence de cristaux témoignent d’un environnement biochimique particulier favorisant (par
ex. des cristaux de weddelite chez le patient naïf témoigne d’une hypercalciurie de concentration > 3,8
mmole/l) mais, associée à d’autres critères spécifiques (figure 3) doivent nous orienter vers certains
facteurs de risque ou états pathologiques particuliers.

La présence de cristaux détectés à l’automate méritent donc d’être contrôlés visuellement en cas de nature spécifique et/ou de taille très grande et/ou d’abondance inhabituelle.

Caractéristiques de la cristallurie et orientations étiologiques

L’étude de la cristallurie ne se résume pas à énumérer la nature chimique des cristaux observés dans les
urines et leur nombre.

Dans tous les cas le pH associé à la cristallurie est une donnée essentielle à considérer comme il peut modifier l’orientation étiologique (par ex dans la lithiase d’acide urique).

Si une espèce cristalline est retrouvée dans les limites de son pH habituel, il faut rechercher une anomalie
biochimiques d’amplitude inhabituelle
(par ex l’acide urique dihydraté). D’autres critères d’interprétation,
repris dans le tableau ci-dessous à la fois quantitatifs (nombre, VCG, fréquence de la cristallurie) mais
aussi qualitatifs (faciès, taille et présence d’agrégat) doivent être analysés par le biologique avant de
prononcer quelques pistes étiologiques ou de préciser le contexte biochimiques favorisant.


Le comptage des agrégats est important pour les espèces oxalo-calciques car ils témoignent d’un manque
de molécules inhibitrices (citrate, magnésium, …) complexant le calcium dans les urines.

Les principales orientations étiologiques en fonction des caractéristiques de la cristallurie sont reprises
dans le tableau détaillé en annexe.

La méthodologie de la cristallurie

La cristallurie doit s’étudier sur des urines fraîchement émises (« encore chaude »), le matin à jeûn : soit la
première urine du réveil acheminée rapidement au laboratoire, soit la deuxième urine du réveil
directement prélevée au laboratoire.

Le jeûne est important pour minimiser l’influence de l’alimentation.


La conservation des urines au froid augmente considérablement le risque de cristallisation aussi bien chez
le patient lithiasique que chez le patient témoin. Le patient ou le biologiste doit donc s’assurer de
maintenir les urines à température ambiante >20C°.


Un seul récipient de grande contenance (500 ml), propre, sera utilisé pour la récolte et ,les urines seront
directement analysées dans le récipient afin d’éviter la perte de cristaux par transvasement.


A la réception des urines, une homogéinisation par retournement est effectuée. Ensuite, à l’aide d’une
pipette, le prélèvement est transféré dans une cellule de Malassez pour l’examen microscopique avec
polarisation.

Les éléments à étudier sont (« protocole »):

– Le pH au pH-mètre (en cas de pH u > 7 suspecter une infection)

– La densité urinaire (< 1012 à jeûn)

– La cytologie urinaire, la présence de cylindres, de cellules épithéliales et de bactéries-levures.

– La cristallurie proprement dite : identification de(s) espèce(s), faciès, polarisation, nombre/mm3, taille max et moyenne, comptage des agrégats, VCG*, la fréquence de la récurrence de la cristallurie sur les urines prélevées (>50% : facteur prédictif puissant de récidive lithiasique).

Vu la marge de temps étroite entre le recueil et l’analyse des urines, une prise de rendez-vous entre le
biologiste et le patient s’impose, entre par ex. 8h et 10h du matin.


VCG* : volume cristallin global, calculé dans le suivi des patients souffrant d’hyperoxalurie primaire et de
cystinurie, ce volume prédisant le risque de récidive lithiasique (formules spécifiques).

Que faut-il en pratique pour développer la cristallurie ?

L’investissement pour développer la cristallurie au sein d’un laboratoire n’est pas considérable et, en
principe, à la portée de tout laboratoire. Un microscope optique avec polarisation, un pH mètre qui
permet de mesure le pH à 0.1 unité près et un densimètre (à défaut une bandelettes) sont les trois
instruments essentiels.


Une formation spécifique de deux biologistes et/ou du techniciens de laboratoire (en binôme pour
assurer une permanence) est un prérequis indispensable avant de lancer un tel projet. Il existe
actuellement deux formations qui durent quelques jours : bioformon en novembre et celle du Pr Daudon
organisée par Mérieux Université en octobre de chaque année (coordonnées ci-dessous). Les journées de
confrontations anatomo-cliniques des lithiases qui se déroulent annuellement peuvent soutenir la
formation continue des cliniciens intéressés.

Aboutir in fine au développement de l’analyse des cristallurie mais aussi de l’analyse biochimique correcte
des urines de 24h afin de réduire les sources d’erreurs pré-analytique résulte d’un vrai travail de
sensibilisation auprès de nos médecins biologistes, puis d’une coopération continue entre néphrologues,
pédiatres, urologues d’un côté et biologistes qualifiés de l’autre.

Références bibliographiques :

  1. Michel Daudon, Olivier Traxer, Paul Jungers. La lithiase urinaire. Paris, Lavoisier Médecine et
    Sciences, 2017 : 84-119.
  2. Daudon M, Traxer O, Lechevalier E, Saussine C. : Epidémiologie de la lithiase urinaire. Prog Urol,
    2008, 18 : 802-814.
  3. Amrani Hassani M, Hennekin C, Lacour B, Daudon M. Citraturie et cristallurie de weddelite. Progr
    Urol, 2005, 15 : 650-655.

Dr. Clause Anne-Lorraine
Néphrologue Epicura
Consultante Erasme : [email protected]

[email protected]

Coordonnées pour la formation cristallurie sur Paris (Michel Daudon) :
Elodie RIVOLLIER-ALLEMAND
Coordinatrice Formation

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